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Avantages fiscaux pour l’huile de palme : refus Total du Conseil constitutionnel

Environnement & qualité - Environnement
Public - Environnement
14/10/2019
Ce vendredi 11 octobre, le Conseil constitutionnel a débouté Total dans sa demande de reconnaissance de l'huile de palme comme biocarburant. L'entreprise ne pourra donc pas bénéficier de l'exonération fiscale normalement prévue au code des douanes.
Actualité riche en fiscalité environnementale (v. PLF 2020 et environnement : le compte est bon ?, Actualités du droit, 10 octobre 2019), le Conseil Constitutionnel a suivi la tendance en statuant sur la Question Préjudicielle de Constitutionnalité (QPC) posée par Total via le Conseil d’État suite au vote de la loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018 et aux fins d’une potentielle censure de l’article 266 quindecies du code des douanes.
Ce dernier a permis la mise en place d’une taxe à un taux plus faible pour les entreprises qui produisent ou importent des carburants et qui y incorporent des biocarburants. Le texte modifié de 2018 exclut explicitement de cette catégorie l’huile de palme dans son paragraphe V au dernier alinéa du 2 du B : « Ne sont pas considérés comme des biocarburants les produits à base d’huile de palme »

Face à cela, Total a avancé deux arguments principaux contre cette disposition :
  • elle ne permet pas de prouver une absence de nocivité pour l’environnement, alors que certains modes de culture de l’huile de palme peuvent être éthiques et durables. La disposition n’est donc pas en adéquation avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effets de serre de la loi ;
  • elle inflige une différence de traitement injustifiée entre les carburants à base d’huile de palme et d’autres issus de plantes dont la production ne serait pas toujours moins émettrice de gaz à effet de serre, ce qui constitue une rupture d’égalité devant la loi, principe constitutionnel.
Pour redonner du contexte à ces arguments, il faut revenir en 2015. À l’époque, Total avait fait le pari, avec le soutien du gouvernement, de transformer sa raffinerie de pétrole brut de La Mède, déficitaire, en raffinerie d’agrocarburants. Lorsqu’il avait été question d’exclure l’huile de palme des biocarburants dans la loi de finances 2019, Total avait accepté de faire des concessions en échange de la modification de cette disposition. L’entreprise envisageait notamment de réduire de moitié l’usage de l’huile de palme sur la raffinerie et avait conclu un accord avec des agriculteurs français pour leur acheter 50 000 tonnes de colza. La disposition avait quand même été votée, au regret de l’entreprise et du gouvernement.

En réponse aux moyens de Total, le Conseil Constitutionnel estime que pour être considérées comme renouvelables, les huiles incorporées doivent remplir « les critères de durabilité » tels que compris dans l’article 17 de la directive du 23 avril 2009 (dir. CE 2009/28, 23 avr. 2009 JOCE 5 juin).

Il apporte cependant  la nuance suivante : il ne faut pas que « d’une part, la culture de ces matières premières et leur utilisation pour la production de biocarburants présentent un risque élevé d’induire indirectement une hausse des émissions de gaz à effet de serre neutralisant la réduction des émissions qui résulte de la substitution de ces biocarburants aux carburants fossiles ; d’autre part, [que] l’expansion des cultures s’effectue sur des terres présentant un important stock de carbone, telles que certaines forêts et zones humides. » Seules exceptions : les substances produites dans des « conditions particulières » qui limitent le risque sus-mentionné.

Pour autant, le Conseil va aller au-delà du texte et donne une interprétation téléologique de la loi. Autrement dit, il va interpréter l’intention du législateur lors de la rédaction de la loi : « Le législateur a entendu lutter contre les émissions de gaz à effet de serre dans le monde ». Pour le Conseil, cela comprend à la fois les émissions directes mais aussi les émissions indirectes, causées par la substitution de cultures pour les biocarburants à celles destinées à l’alimentation.
Continuant son argumentation, il rappelle qu’il n’est pas du ressort de sa compétence d’apprécier ou de décider au même titre que le Parlement et qu’il lui est donc impossible d’apporter un jugement sur l’opportunité du contenu de cette loi.Il va ensuite souligner que le législateur s’était « fondé sur le constat que l’huile de palme se singularise par la forte croissance et l’importante extension de la surface mondiale consacrée à sa production, en particulier sur des terres riches en carbone ». Ainsi, lors de la définition des dispositions de la loi, le législateur avait, pour le Conseil, eu recours à des « critères rationnels et objectifs ». Il refuse donc d’entendre le grief de Total et rejette sa Question Prioritaire de Constitutionnalité.

M. Pouyanné, PDG de Total avait déjà fait savoir lors du vote de la loi que son entreprise « n’avait pas vocation à faire tourner ses usines à perte » et que cette disposition lui couterait entre 70 et 80 millions d’euros par an. L'entreprise ne s’est pas encore exprimée sur cette décision.

Pour rappel, selon les Amis de la Terre, en France 75% de l’huile de palme consommée en France l’est sous forme de carburant. De nouveaux contentieux pourraient émerger, car le soja doit être retiré cette année de la liste des agrocarburants éligibles à cette même réduction fiscale, comme l’a été l’huile de palme.
 
Source : Actualités du droit