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Organismes obtenus par mutagénèse : le gouvernement sommé d’appliquer la réglementation OGM

Public - Environnement
Environnement & qualité - Environnement
12/02/2020
Par un arrêt rendu le 7 février 2020, le Conseil d’État, faisant application d’une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), a exhorté le gouvernement à appliquer la réglementation OGM pour certains organismes obtenus par mutagénèse. Les autorités disposent d’un délai de six à neuf mois pour prendre les mesures nécessaires.
En l’espèce, des associations et syndicats avaient demandé au Premier ministre de soumettre les organismes obtenus par mutagénèse à la règlementation applicable aux organismes génétiquement modifiés (OGM) et de prononcer un moratoire sur l’utilisation en France des variétés de plantes rendues tolérantes aux herbicides (VRTH) obtenues par mutagénèse. Devant le refus du Premier ministre, ces associations et syndicats ont saisi le Conseil d’État.

En vertu de la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, les OGM sont soumis à des procédures d’évaluation des risques et d’autorisation préalables à toute mise sur le marché ou dissémination dans l’environnement et à des obligations d’information du public, d’étiquetage et de suivi. Le problème soulevé par les requérants était le fait que les dispositions du code de l’environnement transposant cette directive (C. env., art. L. 531-1 et s. et D. 531-2) ciblent les organismes obtenus par transgénèse en excluant l’ensemble des organismes obtenus par mutagénèse.

La Haute juridiction énonce dans cette décision que les organismes obtenus par certaines techniques de mutagénèse doivent être soumis à la réglementation relative aux OGM. Il enjoint au gouvernement, notamment :
– de modifier le code de l’environnement en ce sens ;
– d’identifier au sein du catalogue des variétés de plantes agricoles celles qui ont été obtenues par mutagénèse et qui auraient dû être soumises aux évaluations applicables aux OGM ;
– de mieux évaluer les risques liés aux variétés de plantes rendues tolérantes aux herbicides (VRTH).

Quelles techniques visées ?

Cette affaire n’est pas nouvelle : en 2016, les juges du Palais-Royal avaient renvoyé la question à la Cour de justice de l’UE (CE, 3 oct. 2016, n° 388649, Confédération paysanne et a., lire Les organismes obtenus par mutagénèse doivent-ils être exclus de la réglementation applicable aux OGMs ?, Actualités du droit, 5 oct. 2016), qui avait jugé que les organismes obtenus par mutagénèse entraient bien dans le champ d’application de la directive OGM, en énonçant toutefois une exemption selon la technique ou méthode de mutagénèse utilisée (CJUE, 25 juill. 2018, aff. C-528/16, Confédération paysanne e. a., ECLI:EU:C:2018:583, lire Les organismes obtenus par mutagénèse sont-ils soumis aux obligations prévues par la directive OGM ?, Actualités du droit, 27 aout 2018).

Le Conseil d’État fait ici application de cette décision de la CJUE. Il affirme ainsi que « doivent être inclus dans le champ d’application de la directive 2001/18/CE les organismes obtenus au moyen de techniques ou méthodes de mutagénèse qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de la directive le 12 mars 2001 ». Autrement dit, seules les techniques de mutagenèse les plus récentes (à partir de 2001) doivent être soumises à la réglementation OGM.

Il précise que tel est le cas non seulement de la mutagénèse « dirigée » mais aussi de la mutagénèse aléatoire in vitro. En revanche, les variétés obtenues au moyen de techniques plus anciennes, « dont la sécurité est avérée depuis longtemps », ne sont pas soumises à ces obligations.

Le Conseil d’État laisse six mois au gouvernement pour modifier en ce sens « le a) du 2° de l’article D. 531-2 du code de l’environnement, en fixant par décret pris après avis du Haut Conseil des biotechnologies, la liste limitative des techniques ou méthodes de mutagenèse traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ».

Il devra de plus identifier, dans un délai de neuf mois, les variétés de plantes agricoles obtenues par mutagénèse (en particulier parmi les VRTH) qui ont été inscrites au catalogue officiel des plantes cultivées sans avoir fait l’objet de la procédure d’évaluation des risques applicable aux OGM, alors qu’elles auraient dû y être soumises du fait de la technique utilisée pour les obtenir. Il doit également apprécier, s’agissant des variétés ainsi identifiées, s’il y a lieu de faire application de la directive 2002/53/CE concernant le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles et du code de l’environnement. Le Conseil d’État précise dans le communiqué de presse accompagnant la décision que « cela pourra amener en pratique à retirer les variétés concernées du catalogue et à en suspendre la culture ».

Principe de précaution

En sus des points précédents, le Conseil d’État rappelle que le principe de précaution aurait dû être appliqué aux VRTH. Il estime qu’en application de ce principe, le Premier ministre ne pouvait pas légalement refuser de prendre des mesures de prévention pour l’utilisation de variétés de plantes rendues tolérantes aux herbicides. Et cela notamment en raison des diverses expertises (notamment de l’ANSES, l’INRA et le CNRS) qui avaient identifié des « facteurs de risque » correspondant au développement des mauvaises herbes tolérantes aux herbicides et à « l’augmentation en conséquence de l’usage des d’herbicides », même si des incertitudes persistaient quant à la réalisation effective de ces risques en raison du manque de données disponibles.

Sur ce point, le Conseil d’État enjoint au gouvernement :
– d’une part, de prendre dans un délai de six mois les mesures nécessaires à la mise en œuvre des recommandations formulées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail en 2019 (ANSES, 26 nov. 2019, Avis relatif à l'utilisation des variétés rendues tolérantes aux herbicides cultivées en France) en matière d’évaluation des risques liés aux VRTH, ou de prendre toute autre mesure équivalente permettant de répondre aux observations de l’agence sur les lacunes des données actuellement disponibles ;
– d’autre part, de solliciter de la Commission européenne l’autorisation de prescrire des conditions de culture appropriées pour les VRTH issues de la mutagénèse utilisées en France, afin que les exploitants mettent en œuvre des pratiques destinées à limiter l’apparition de résistance aux herbicides.
 
Historique de l’affaire
– Renvoi de la question préjudicielle par le Conseil d’État à la CJUE : CE, 3 oct. 2016, n° 388649, Confédération paysanne et a., lire Les organismes obtenus par mutagénèse doivent-ils être exclus de la réglementation applicable aux OGMs ?, Actualités du droit, 5 oct. 2016 ;
– Réponse de la CJUE à la question préjudicielle : CJUE, 25 juill. 2018, aff. C-528/16, Confédération paysanne e. a., ECLI:EU:C:2018:583, lire Les organismes obtenus par mutagénèse sont-ils soumis aux obligations prévues par la directive OGM ?, Actualités du droit, 27 aout 2018.
Source : Actualités du droit