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État des lieux des mesures de déjudiciarisation dans l’avant-projet de loi de programmation pour la Justice

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
19/03/2018
Dans le cadre de l’avant-projet de loi de programmation pour la Justice 2018-2022, plusieurs propositions, faites pour « repenser l’office des juridictions », tendent à la déjudiciarisation de procédures et provoquent la colère de nombre de praticiens. Inventaire de ces composantes de la pomme de discorde.
S’appuyant largement sur le rapport sur la simplification de la procédure civile remis dans le cadre des réflexions sur les Chantiers de la Justice (voir ici), l’avant-projet de loi de programmation pour la Justice 2018-2022 (PLPJ) comporte, au sein d’un Titre II, une vingtaine d’articles relatifs au déroulement des procédures en matière civile, sans compter ceux relatifs à la carte judiciaire (voir ici). En vue de « redéfinir le rôle des acteurs du procès », le Chapitre III du Sous-titre Ier propose des mesures de déjudiciarisation. La Chancellerie a d’ores et déjà annoncé retirer l’une d’entre elles. Quelles sont les autres contentieux concernés ?
 
Déjudiciarisation de la délivrance des actes de notoriété (av.-PLPJ, art. 5, I). — La délivrance des actes de notoriété faisant foi de la possession d’état jusqu’à preuve contraire. L’article 317 du Code civil sera ainsi rédigé : « chacun des parents ou l'enfant peut demander au notaire que lui soit délivré un acte de notoriété qui fera foi de la possession d'état jusqu'à preuve contraire. L'acte de notoriété est établi sur la foi des déclarations d'au moins trois témoins et de tout autre document produit qui attestent une réunion suffisante de faits au sens de l'article 311-1. L’acte de notoriété est signé par le notaire et par les témoins. La délivrance de l'acte de notoriété ne peut être demandée que dans un délai de cinq ans à compter de la cessation de la possession d'état alléguée ou à compter du décès du parent prétendu, y compris lorsque celui-ci est décédé avant la déclaration de naissance. La filiation établie par la possession d'état constatée dans l'acte de notoriété est mentionnée en marge de l'acte de naissance de l'enfant. (dernier alinéa supprimé) ».
 
Possibilité de délivrance d’actes notariés suppléant des actes de l’état civil détruits (av.-PLPJ, art. 5, II à V). — En application d’un nouvel alinéa de l’article 46 du Code civil, jusqu’à ce que la reconstitution ou la restitution des registres ait été effectuée, il pourra être suppléé, par des actes de notoriété, à tous les actes de l’état civil dont les originaux auront été détruits ou auront disparu à la suite d’un sinistre ou de faits de guerre. Ces actes de notoriété seront délivrés par un notaire, sur la foi des déclarations d’au moins trois témoins et de tout autre document attestant de l’état civil de l’intéressé. Le notaire ayant reçu l’acte sera tenu d’en adresser, dans le mois, une copie authentique au greffe du TGI dans le ressort duquel se trouvait l’acte suppléé (ou aux archives dépendant du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères). La loi du 20 juin 1920 (L. 20 juin 1920, JO 22 juin) est abrogée. En ce qui concerne l'état civil des Français ayant vécu en Algérie ou dans les anciens territoires français d'outre-mer ou sous tutelle devenus indépendants, les actes de l’état civil seront également établis par le notaire (et non plus par le juge d’instance), conformément à l’article 46 modifié du Code civil (art. 4, L. n° 68-671, 25 juill. 1968, JO 26 juill.). Il en sera de même dans le cadre de l’ordonnance du 16 juillet 1962 facilitant la preuve des actes de l'état civil dressés en Algérie (Ord. n° 62-800, 16 juill. 1962, JO 17 juill.).
 
Recueil du consentement en matière d’assistance médicale à la procréation (PMA ; av.-PLPJ, art. 5, VI et VII). — Dans le cadre de la PMA avec donneur, le consentement des époux ou des concubins sera désormais exclusivement recueillis par le notaire. La référence au juge est supprimée au sein des articles 311-20 du Code civil et L. 2141-10 du Code de la santé publique.
 
Déjudiciarisation expérimentale de la révision des pensions alimentaires (av.-PLPJ, art. 6). — Le gouvernement serait habilité, dans un délai de 9 mois, à prendre par ordonnance (avec un projet de ratification dans les trois mois), les mesures relevant du domaine de la loi, pour confier « à tout autorité ou organisme soumis au contrôle de l’État ou à des officiers publics et ministériels », à titre expérimental et pour une durée de trois ans, la délivrance des titres exécutoires portant exclusivement sur la modification du montant des pensions alimentaires, lorsque plusieurs conditions sont cumulativement réunies : exigence d’une fixation antérieure de la contribution par l’autorité judiciaire, par une convention homologuée ou dans le cadre d’un divorce « sans juge » ; la demande modificative devrait être formée dans l’un des départements de la liste fixée par arrêté du garde des Sceaux ; demande fondée sur l’évolution des ressources des parents ou sur celle, par accord des parties, des modalités du droit de visite et d’hébergement ; absence de demande pendante devant le juge aux affaires familiales(JAF). L’autorité, l’organisme ou l’officier ministériel pourrait également, en cas de carence dans la remise des documents requis, moduler forfaitairement le montant de la contribution et organiser un recours devant le JAF en cas de contestation du titre.
 
Changement de régime matrimonial (av.-PLPJ, art. 7). — L’article 1397 du Code civil sera modifié, avec la suppression du délai de deux années d’application du régime matrimonial au sein de l’alinéa 1er et la possibilité d’un changement de régime matrimonial sans l’intervention du juge en cas d’enfants mineurs. En effet, le 2e alinéa sera complété par la phrase suivante : « en cas d’enfant mineur sous tutelle ou d’enfant majeur sous mesure de protection juridique, l’information est délivrée à leur représentant, qui agit sans autorisation préalable du conseil de famille ou du juge des tutelles ». L’alinéa 5 du texte prévoira que « lorsque l'un ou l'autre des époux a des enfants mineurs sous le régime de l’administration légale, le notaire peut saisir le juge des tutelles dans les conditions prévues au 2e alinéa de l’article 387-3 du Code civil ».
 
Contrôle des actes de gestion patrimoniale de la tutelle (av.-PLPJ, art. 8). — L’alinéa 2 de l’article 116 du Code civil, applicable lorsqu’une personne présumée absente est appelée à un partage, sera modifié pour disposer « en cas d’opposition d’intérêts entre le représentant et l’absent, le juge des tutelles autorise le partage, même partiel, en présence du remplaçant désigné conformément à l’article 115 ». La seconde phrase de l’actuel alinéa 2 (« dans tous les cas, l’état liquidatif est soumis à l’approbation du juge des tutelles ») fera l’objet d’un alinéa 3 autonome (av.-PLPJ, art. 8, I).
L’article 500 du Code civil, relatif au budget de la tutelle, sera également modifié : l’alinéa 2 du texte sera remanié, pour prévoir que « sous sa propre responsabilité et avec l’autorisation du conseil de famille lorsqu’il en a été désigné un, le tuteur peut inclure dans les frais de gestion la rémunération des administrateurs particuliers dont il demande le concours ». L’alinéa 3 sera réécrit de la façon suivante : « (1re phrase supprimée). Si le tuteur conclut, avec l’autorisation du conseil de famille lorsqu’il en a été désigné un, un contrat avec un tiers pour la gestion des valeurs mobilières et instruments financiers de la personne protégée, il choisit le tiers contractant en considération de son expérience professionnelle et de sa solvabilité. Le contrat peut, à tout moment et nonobstant toute stipulation contraire, être résilié au nom de la personne protégée » (av.-PLPJ, art. 8, II).
L’article 507 du Code civil fera également l’objet de retouches : « En cas d’opposition d’intérêts avec la personne chargée de la mesure de protection, le partage à l’égard d’une personne protégée peut être fait à l’amiable sur autorisation du conseil de famille ou, à défaut, du juge ». « Dans tous les cas, l'état liquidatif est soumis à l'approbation du conseil de famille ou, à défaut, du juge ». (alinéas 3 et 4 inchangés).
Enfin, en cas d’acceptation par le tuteur de la succession échue à la personne protégée (C. civ., art. 507-1), il pourra l’accepter purement et simplement si l’actif dépasse manifestement le passif, après recueil d’une attestation du notaire chargé du règlement de la succession (modification de la 2nde phrase du 1er alinéa).
 
Déjudiciarisation de la vente forcée d’immeuble en cas de saisie immobilière (av.-PLPJ, art. 9, I). — Le gouvernement était habilité à modifier par ordonnance les dispositions du Code des procédures civiles d’exécution relatives à la saisie immobilière, pour confier à des officiers publics et ministériels la réception des enchères en cas de vente par adjudication (CPC exéc., art. L. 322-1), pour améliorer et simplifier la procédure (notamment en rationalisant l’exercice des recours intermédiaires) et pour garantir le prix de vente. La Chancellerie va retirer ces dispositions (Min. Justice, Lettre du 16 mars 2018).
 
Saisie des rémunérations (av.-PLPJ, art. 9, II). — Le gouvernement est habilité à prendre par ordonnance (avec un projet de ratification au plus tard le dernier jour du 12e mois suivant la publication) les mesures permettant de transférer à la Caisse des dépôts et consignations, la charge de recevoir, gérer et répartir entre les créanciers saisissants et dans les meilleurs délais, les sommes versées au titre de la saisie des rémunérations (C. trav., art. L. 3252-1 et s.), celle de recevoir des parties au litige, les sommes dont le tribunal de grande instance a ordonné la consignation dans le cadre d’une expertise et procéder sur autorisation du juge au versement de sommes dues à l’expert, ainsi que la restitution des sommes qui auraient été consignées en excédent et enfin, celle de déterminer, le cas échéant, les conditions dans lesquelles ces prestations sont rémunérées.
 
Délivrance des apostilles et des légalisations (av.-PLPJ, art. 10, I). — Le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance, les mesures nécessaires pour simplifier et moderniser la délivrance des apostilles et des légalisations sur les actes publics établis par une autorité française et destinés à être produits à l’étranger (D. n° 2007-1205, 10 août 2007, JO 12 août ; Arr. 3 sept. 2007, NOR : MAEF0762625A, JO 19 sept.). Il s’agira de déléguer partiellement ou totalement l’accomplissement de ces formalités à des officiers publics ou ministériels ou à tout autre autorité ou organisme soumis au contrôle de l’État. Pour mettre en œuvre ces modifications et en tirer les conséquences, le gouvernement est habilité à aménager et modifier toutes dispositions de nature législative, par ordonnance prise dans un délai d’un an, avec projet de loi de ratification dans un délai de 6 mois.

Consécration du principe de légalisation des actes publics (av.-PLPJ, art. 10, II). — Sauf engagement international contraire, tout acte public établi par une autorité étrangère et destiné à être produit en France doit être légalisé pour y produire effet. L’avant-projet rappelle que la légalisation est « la formalité par laquelle est attestée la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi et, le cas échéant, l’identité du sceau ou du timbre dont cet acte est revêtu » (comp. art. 2, D. 10 août 2007, précité). Un décret en Conseil d’État précisera les actes concernés et fixera les modalités de la légalisation.
 
Changement d'usage des locaux destinés à l'habitation (av.-PLPJ, art. 10, III). — Le formalisme nécessaire au prononcé de l’amende civile pour non-respect des dispositions de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation est simplifié, par abrogation de l’exigence relative aux « conclusions du procureur de la République, partie jointe avisée de la procédure » (CCH, art. L. 651-2).
 
Source : Actualités du droit