Retour aux articles

Indication de l’origine des ingrédients : informer sans tromper

Environnement & qualité - Qualité
13/07/2018
La Commission européenne a adopté le 28 mai 2018 un règlement fixant les règles relatives à l’indication de l’origine des ingrédients primaires en application du règlement INCO. Ces nouvelles obligations, applicables à compter du 1er avril 2020, visent à protéger le consommateur d’éventuelles tromperies sur l’origine des denrées alimentaires. En France, l’indication de l’origine des viandes et du lait en tant qu’ingrédients est obligatoire à titre expérimental depuis le 1er janvier 2017 jusqu’au 31 décembre 2018. Ces deux dispositifs assez similaires à première vue sont pourtant bien distincts, notamment parce qu’ils sont motivés par des objectifs différents.
L’obligation d’informer le consommateur sur l’origine du ou des ingrédients primaires lorsqu’elle est différente de celle qui est indiquée pour la denrée alimentaire est prévue à l’article 26, § 3, du règlement UE n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 relatif à l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (dit règlement INCO).

La Commission européenne devait adopter au plus tard le 13 décembre 2013 un acte d’exécution précisant les modalités d’application de cette obligation[1], ce qu’elle vient seulement d’effectuer avec le règlement UE n° 2018/775 du 28 mai 2018, avec près de 4 ans et demi de retard.

Les nouvelles dispositions ainsi fixées entreront en vigueur le 1er avril 2020. Elles visent à garantir la bonne information des consommateurs sur l’origine de la denrée alimentaire lorsque celle-ci est mentionnée et éviter tout risque de tromperie lorsque l’origine du principal ingrédient (ingrédient primaire) est différente. Ainsi par exemple, l’origine des oranges d’un jus d’orange étiqueté de manière volontaire « fabriqué en France » devra être indiquée si ces oranges proviennent d’un pays tiers ou d’un autre État membre que la France.
_______________________________________________________________

I. Quelles sont les denrées alimentaires concernées ?

Pour rappel, le règlement UE n° 2018/775 concerne l’information sur l’origine du ou des ingrédients primaires, lorsque cette origine n’est pas celle indiquée pour la denrée alimentaire.

Il porte application du § 3 de l’article 26 du règlement INCO selon lequel « lorsque le pays d’origine ou le lieu de provenance de la denrée alimentaire est indiqué et qu’il n’est pas celui de son ingrédient primaire :
a) le pays d’origine ou le lieu de provenance de l’ingrédient primaire en question est également indiqué ; ou
b) le pays d’origine ou le lieu de provenance de l’ingrédient primaire est indiqué comme étant autre que celui de la denrée alimentaire 
».

Aussi il importe de comprendre d’une part, ce qu’est un ingrédient primaire, et d’autre part, dans quel(s) cas il convient d’informer le consommateur sur l’origine de cet ingrédient primaire.

à 1. Qu’est-ce qu’un ingrédient primaire ?

Un « ingrédient primaire » est défini par le règlement INCO comme étant « le ou les ingrédients d’une denrée alimentaire qui constituent plus de 50 % de celle-ci ou qui sont habituellement associés à la dénomination de cette denrée par les consommateurs et pour lesquels, dans la plupart des cas, une indication quantitative est requise ».

Le premier cas est simple. Dans l’exemple du jus d’orange, les oranges sont le seul ingrédient et constituent ainsi plus de 50 % de la composition du produit fini. Il s’agit donc bien d’un ingrédient primaire.

Le deuxième cas est plus difficile à évaluer. Il en est de même en ce qui concerne la déclaration quantitative des ingrédients (QUID). Celle-ci est exigée lorsque l’ingrédient figure dans la dénomination ou est généralement associé à cette dénomination par les consommateurs[2]. Dans ses lignes directrices du 21 novembre 2017 sur l’application de la QUID, la Commission européenne apporte un éclairage utile sur l’interprétation qu’il convient de donner à la notion d’« ingrédient habituellement associé à la dénomination par les consommateurs ». Selon ces lignes directrices, il s’agit des denrées alimentaires décrites par un nom usuel[3] et sans dénomination descriptive supplémentaire[4]. Dans de tels cas, la Commission européenne propose « d’utiliser une dénomination descriptive pour cette denrée. La QUID ferait alors référence aux ingrédients principaux ou à ceux ayant une certaine valeur étant donné que ce sont ceux que les consommateurs associent généralement au nom de la denrée alimentaire ». Pour rappel, la Commission européenne donne plusieurs exemples de noms usuels en y associant une dénomination descriptive et en précisant le ou les ingrédients principaux pour lesquels la QUID est exigée et qui peuvent donc, selon nous, être considérés comme étant des ingrédients primaires au sens du règlement INCO. Parmi les exemples cités, 4 noms usuels désignent des produits traditionnels connus des consommateurs français auxquels une dénomination descriptive est associée permettant de déterminer le ou les ingrédients pour lesquels la QUID est exigée :
 
Noms usuels Exemple de dénomination descriptive QUID
Chili con carne Viande hachée de bœuf, haricots rouges, tomates poivrons, oignons et piments Viande hachée de bœuf 
Boudoir Biscuit aux œufs Œufs
Brandade Plat à base de pommes de terre et de morue Morue
Cassoulet Plat à base de haricots blancs, saucisses et morceaux de viande Viande
 

Il s’agit d’une analyse effectuée en vue de savoir à quel(s) ingrédient(s) s’applique la QUID dans le cas de produits portant une dénomination renvoyant à un nom usuel. Ces exemples peuvent apporter une aide pour déterminer le ou les ingrédients primaires d’une denrée alimentaire désignée par un nom usuel mais il convient de vérifier qu’il n’y a pas d’autres ingrédients concernés. La détermination du ou des ingrédients primaires dans une denrée alimentaire désignée par un nom usuel n’est donc pas évidente et doit être effectuée au cas par cas en tenant compte de la connaissance des consommateurs dans une région déterminée.

Cette analyse au cas par cas devrait être faite en ne perdant pas de vue l’un des objectifs visés par le règlement INCO à savoir : « les informations sur les denrées alimentaires n’induisent pas en erreur, notamment: […] sur le pays d’origine ou le lieu de provenance »[5].

2. Dans quels cas une information sur l’origine de l’ingrédient primaire est-elle exigée ?

Le règlement UE n° 2018/775 du 28 mai 2018 s’applique « quand le pays d'origine ou le lieu de provenance d'une denrée alimentaire est mentionné sous la forme d'un terme, d'une représentation graphique, d'un symbole ou de toute indication faisant référence à un lieu ou à une zone géographique. »[6].  

Ainsi, par exemple, un drapeau français ou l’apposition d’une photo ou d’un dessin représentant un symbole connu de la France, tel qu’un monument historique connu (Tour Eiffel, Sacré cœur, etc.) ou un site géographique connu (le Mont Saint-Michel) constituent une mention sur l’origine ou la provenance de la denrée alimentaire.

En outre, le règlement UE n° 2018/775 précité s’applique aussi bien aux denrées alimentaires non préemballées qu’à celles qui le sont.
 
Rappel
« Les marchandises entièrement obtenues dans un même pays ou territoire sont considérées comme originaires de ce pays ou territoire »[7].
Le « lieu de provenance » désigne le lieu indiqué comme étant celui dont provient la denrée alimentaire, mais qui n'est pas le « pays d'origine ». Le nom, la raison sociale ou l'adresse de l'exploitant du secteur alimentaire figurant sur l'étiquette ne vaut pas, au sens du présent règlement, indication du pays d'origine ou du lieu de provenance de la denrée alimentaire[8].
 
Cependant ne sont pas concernées les denrées alimentaires dont la dénomination usuelle et générique comporte des termes géographiques qui se rapportent littéralement à une origine, mais qui ne sont pas communément compris comme une indication d'origine ou un lieu de provenance. C’est par exemple le cas des dénominations « moutarde de Dijon » ou « sauce bolognaise » qu’il convient de comprendre ainsi : « moutarde selon la recette de Dijon » et « sauce selon la recette de Bologne ».

Le règlement UE n° 2018/775 ne s'applique pas non plus aux indications géographiques protégées ni aux marques enregistrées lorsque celles-ci constituent une indication d'origine. Des règles spécifiques devraient être fixées pour ces indications.
__________________________________________________________________

II. L’indication de l’origine de l’ingrédient primaire est peu contraignante

Plusieurs modes sont possibles pour informer le consommateur que l’origine du ou des ingrédients primaire(s) est différente de celle indiquée pour la denrée alimentaire.

En effet, l’exploitant du secteur alimentaire pourra simplement apposer la déclaration suivante : « La/Le/Les (dénomination de l'ingrédient primaire) ne provient/proviennent pas d[…] (pays d'origine ou lieu de provenance de la denrée alimentaire)» ou toute formulation similaire susceptible d'avoir le même sens pour le consommateur »[9]
Ou bien, il pourra apposer simplement la mention « UE », « non UE » ou encore « UE et non UE », indiquant ainsi que l’origine du ou des ingrédients est différente de celle indiquée pour la denrée alimentaire sans pour autant donner plus d’information sur l’origine exacte de ces ingrédients.

Dans le cas où l’origine de l’ingrédient est fluctuante, la possibilité d’utiliser de telles indications peu explicites peut s’avérer très utile pour l’exploitant. Contrairement aux dispositions françaises prises à titre expérimentales (voir § III), le règlement UE n° 2018/775 vise à satisfaire l’objectif fixé par le règlement INCO de ne pas induire le consommateur en erreur sur l’origine (voir § I, 2).

L’exploitant pourra cependant être plus précis quant à l’origine du ou des ingrédients en faisant référence à l’une des zones géographiques suivantes :
  • une région ou toute autre zone géographique s'étendant dans plusieurs États membres ou pays tiers si elle est définie comme telle par le droit international public ou est compréhensible par un consommateur moyen normalement informé ; ou
  • une zone de pêche de la FAO, ou une zone maritime ou d'eau douce, si elle est définie comme telle par le droit international public ou est compréhensible par un consommateur moyen normalement informé ; ou
  • un ou des États membres ou pays tiers ; ou
  • une région ou toute autre zone géographique comprise dans un État membre ou un pays tiers si elle est compréhensible par un consommateur moyen normalement informé ; ou
  • un pays d'origine ou un lieu de provenance répondant à des dispositions particulières de l'Union qui s'appliquent aux ingrédients primaires concernés.
___________________________________________________________________

III. Ingrédients lait et viande : le dispositif français provisoire en attente du dispositif européen

1. Au niveau de l’UE : l’obligation d’indiquer l’origine du lait et des viandes en tant qu’ingrédients reste à l’état de projet

La Commission européenne a présenté des rapports au Parlement européen et au Conseil concernant notamment l’indication obligatoire du pays d’origine ou du lieu de provenance pour le lait utilisé en tant qu’ingrédient dans les produits laitiers [10] et pour la viande utilisée en tant qu’ingrédient[11].

Pour le moment elle n’a pas proposé d’acte d’exécution concernant ces dispositions. Elle n’en a d’ailleurs pas l’obligation conformément au règlement INCO qui ne prévoit que la publication de rapports, ce qu’elle a fait presque dans le délai imparti pour la viande utilisée comme ingrédient et avec 5 mois de retard pour le lait utilisé comme ingrédient.

2. En France mise en place d’un dispositif expérimental

En l’absence de règles européennes, la France a pris les devants en mettant en œuvre un dispositif législatif expérimental rendant obligatoire sur deux ans, soit 2017 et 2018, l’indication de l’origine notamment du lait et de la viande utilisés en tant qu’ingrédients.

Ainsi conformément au décret n° 2016-1137 du 19 août 2016 : l’indication de l’origine :
  • de la viande bovine, porcine, ovine, caprine et de volailles utilisée comme ingrédient dans les denrées alimentaires à hauteur de 50 % et plus, et
  • du lait utilisé comme ingrédient dans un des produits laitiers listés par le décret
est obligatoire depuis le 1er janvier 2017 jusqu’au 31 décembre 2018.
Cette obligation ne s’applique pas aux produits importés d’autres États membres ou de pays tiers conformément au principe interdisant les restrictions quantitatives à l’importation des marchandises fixé dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)[12].

Cette obligation ne concerne pas non plus les denrées bénéficiant d’une AOP, IGP ou du label biologique, l’obligation d’indiquer l’origine des ingrédients étant déjà prévue pour ces derniers produits (voir Le Lamy Dehove, études 143 et 151).

Lors des États généraux de l’alimentation organisés de juillet à décembre 2017, le Gouvernements français a exprimé le souhait de porter au niveau européen la poursuite du dispositif expérimental français précité concernant l’indication de l’origine du lait et des viandes utilisés comme ingrédients.

Comparons les deux dispositifs : celui, européen, exigeant une information sur l’origine du ou des ingrédients primaires lorsqu’elle est différente de celle indiquée pour la denrée alimentaire et celui, français, exigeant l’indication de l’origine du lait et des viandes utilisés comme ingrédients dans une denrée alimentaire.

Dans le premier dispositif, l’information sur l’origine du ou des ingrédients primaires est obligatoire :
  • quelle que soit la nature de l’ingrédient et pas seulement pour le lait et les viandes ;
  • l’ingrédient doit être un ingrédient primaire selon la définition qui en est donnée (voir supra § I.1) ; et
  • l’origine de la denrée alimentaire est indiquée (par un terme, un graphique, un symbole ou tout autre moyen explicite pour le consommateur, voir supra § I.2) ; et
  • l’origine de l’ingrédient primaire est différente de celle de la denrée.
Dans le deuxième dispositif, l’origine de l’ingrédient est exigée :
  • uniquement pour le lait en tant qu’ingrédient dans un des produits laitiers concernés et pour la viande présente dans la denrée à hauteur de 50% et plus ;
  • même si l’origine de la denrée alimentaire n’est pas indiquée ;
  • même si l’origine de l’ingrédient (lait et/ou viande) est la même que celle de la denrée alimentaire.
Les deux dispositifs n’ont donc pas tout à fait le même objectif. Le dispositif européen visant à informer le consommateur sur l’origine de l’ingrédient primaire lorsque celle-ci est différente de celle de la denrée qui le contient a pour objectif d’éviter d’induire le consommateur en erreur sur l’origine exacte de la denrée et du ou des principaux ingrédients qui la composent.

Le dispositif français rendant obligatoire l’indication de l’origine du lait utilisé dans les produits laitiers et des viandes utilisées comme ingrédients à hauteur de 50% et plus dans des plats préparés de type lasagne par exemple, même en l’absence d’indication sur l’origine du produit fini, répond à une attente des consommateurs exprimée à la suite du scandale de la viande de cheval. Cette information permet aux consommateurs de connaître l’origine des ingrédients importants tels que le lait et la viande et d’orienter ses choix en fonction de celle-ci. Une manière d’introduire (ou plutôt de ré-introduire) du protectionnisme en exploitant la préférence des consommateurs, protectionnisme qui est, rappelons-le, interdit depuis la création du marché commun en 1957. Dans un climat de défiance générale vis-à-vis de la qualité des produits alimentaires, défiance qui a commencé notamment avec la crise de la vache folle et s’est renforcée avec les crises alimentaires successives, les consommateurs ont en effet tendance à vouloir consommer uniquement des produits nationaux. Une réaction qui peut sembler légitime à première vue mais qui en réalité n’est pas toujours fondée. Rappelons par exemple que la France était le troisième pays le plus touché par l’encéphalopathie spongiforme bovine après le Royaume-Uni et le Portugal…

Dans tous les cas, le dispositif mis en place par le décret n° 2016-1137 du 19 août 2016 précité est somme toute contraignant pour les entreprises françaises et créent une distorsion de concurrence avec les entreprises de nos voisins européens. Ce dispositif sera-t-il abandonné ou bien étendu à toute l’Union européenne ? L’avenir nous le dira…
 
[1] Art. 26, § 8
[2] Règl. INCO, art. 22, § 1, a ; voir Dossier Qualité « Information des consommateurs : la mise en avant des ingrédients sur les étiquetages » par Marie-Pierre OSPITAL, Revue Lamy Droit Alimentaire n° 381, mai 2018, p. 15
[3] Nom usuel : le nom reconnu comme étant la dénomination de la denrée alimentaire par les consommateurs de l’État membre dans lequel celle-ci est vendue, sans que de plus amples explications soient nécessaires » (Règl. INCO, art. 2, § 2, o)
[4] Nom descriptif : un nom qui décrit la denrée alimentaire et, si nécessaire, son utilisation, et qui est suffisamment clair pour que les consommateurs puissent déterminer sa véritable nature et la distinguer des autres produits avec lesquels elle pourrait être confondue (Règl. INCO, art. 2, § 2, p)
[5] Règl. INCO, art. 7, § 1
[6] Art. 1er, § 1
[7] Règl. Parl. et Cons. UE n° 952/2013, 9 oct. 2013, établissant le code des douanes de l’Union, art. 60, § 1
[8] Règl. INCO, art. 2, § 2, g
[9] Art. 2, b
[10] Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil concernant l'indication obligatoire du pays d'origine ou du lieu de provenance pour le lait, le lait utilisé comme ingrédient dans les produits laitiers et les types de viande autres que la viande bovine, porcine, ovine, caprine et la viande de volaille, 20 mai 2015, /* COM/2015/0205 final */
[11] Rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil concernant l’indication obligatoire du pays d’origine ou du lieu de provenance pour la viande utilisée comme ingrédient, 17 déc. 2013,  /* COM/2013/0755 final */
[12] TFUE, art. 34
Source : Actualités du droit