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Attentats terroristes : difficile pour la commune concernée de se constituer partie civile

Pénal - Procédure pénale
Public - Droit public général
18/03/2019
La commune de Nice fait les frais de l’interprétation stricte des dispositions du Code de procédure pénale relatives à la recevabilité de la constitution de partie civile, dans le cadre des poursuites exercées à la suite des événements tragiques du 14 juillet 2016. Ceci, au regard de la valeur protégée par les incriminations dont la juridiction d’instruction a été saisie.
Le 14 juillet 2016, peu après la fin du feu d'artifice ayant eu lieu sur la promenade des Anglais à Nice, un homme circulant seul à bord d'un camion de location, a projeté ce véhicule à vive allure, tant sur la chaussée que sur les trottoirs, afin d'atteindre le plus grand nombre de personnes parmi la foule encore présente. Ces agissements, qui n’ont pris fin que par l'immobilisation du camion à la suite des tirs des forces de l'ordre ayant provoqué la mort de l'intéressé, ont occasionné le décès de quatre-vingt-quatre personnes et des blessures à plus de trois cents autres.

Une information judiciaire est ouverte à Paris, des chefs de de participation à un groupement en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteintes aux personnes en relation avec une entreprise terroriste, assassinats en bande organisée, complicité, tentatives d’assassinats en bande organisée, complicité, infractions à la législation sur les armes, toutes infractions en relation avec une entreprise terroriste.

La ville de Nice se constitue partie civile par voie incidente devant le juge d’instruction. Elle invoque :
  • un préjudice matériel résultant tant de sa qualité de subrogée dans les droits de plusieurs fonctionnaires municipaux dont elle aura à avancer les frais et honoraires de leurs avocats, dès lors que certains d’entre eux sont susceptibles de se constituer partie civile, que du dommage occasionné au mobilier urbain par le véhicule utilisé lors de sa course ;
  • un préjudice d’image, occasionné par l’atteinte que l’attentat a porté à l'attractivité de la ville.
Le juge d'instruction déclare la CPC partiellement recevable. Le procureur de la République relève appel de cette décision.

Le 26 janvier 2018, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris infirme l'ordonnance et déclare irrecevable la constitution de partie civile de la commune. Pour ce faire, elle Pour ce faire, elle considère :
  • que les préjudices, tant matériel, que moral, allégués par la partie civile sont dépourvus de lien direct avec les poursuites engagées des chefs retenus ;
 
  • que ni le préjudice matériel résultant des dégradations occasionnées au matériel urbain et de l'intervention des agents de la police municipale, ni le préjudice moral occasionné par l'atteinte à l'attractivité de la ville et les conséquences économiques qui en découlent, n’ont directement pour origine les infractions à la législation sur les armes et les crimes de tentatives d'assassinats, de complicité d'assassinats, de complicité de tentatives d'assassinat et d'assassinats en relation avec une entreprise terroriste visés au réquisitoire introductif ;
 
  • que les dommages subis par la ville de Nice, à l’origine desdits préjudices, ne prennent pas davantage leur source dans les faits constitutifs du crime de participation à un groupement en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteintes aux personnes en relation avec une entreprise terroriste et ne constituent pas des conséquences directes et personnelles de cette infraction.
La chambre de l’instruction en déduit que la partie civile ne justifie pas de préjudices personnels directement causés par les infractions poursuivies.

La commune de Nice forme un pourvoi en cassation. Elle fait valoir plusieurs arguments :
  • la jurisprudence constante selon laquelle, pour qu'une constitution de partie civile soit recevable devant la juridiction d'instruction, il suffit que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale. Dès lors, en l’espèce :
    • en considérant que la recevabilité de l’action civile serait subordonnée à l’existence d’un dommage personnel issu directement de l’infraction poursuivie, la chambre de l’instruction aurait méconnu notamment les articles 2, 3 et 85 du Code de procédure pénale ;
    • il en serait de même de la position adoptée pour l’association de malfaiteurs terroristes, qui, pour la chambre de l’instruction, ne pourrait occasionner aux particuliers de préjudice direct et personnel ;
 
  • une dénaturation des conclusions, en retenant que la subrogation résultant de la protection fonctionnelle de la loi dite « Le Pors » (art. 11, L. n° 83-634, 13 juill. 1983, JO 14 juill.) n’aurait été invoquée par la ville de Nice qu’au titre de son préjudice matériel, alors que cette subrogation légale constituait un fondement autonome de la constitution de partie civile de la demanderesse ;
 
  • la règle selon laquelle tout jugement ou arrêt doit être motivé et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties : en considérant que la ville de Nice ne justifierait pas de préjudices personnels directement causés par les infractions poursuivies, sans répondre au moyen tiré de ce qu’elle était subrogée dans les droits des agents de la police municipale qui avaient été directement confrontés au camion conduit par l’auteur de l’attentat et disposait à ce titre d’une action directe qu’elle pouvait exercer par voie de constitution de partie civile ;
 
  • la valeur protégée par les incriminations retenues :
    • pour la partie civile, les actes de terrorisme constitutifs d’infractions à la législation sur les armes sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur et causent une atteinte directe à l’image de la ville qui en est le théâtre. La chambre de l’instruction ne pouvait donc pas considérer que les préjudices invoqués par la ville de Nice ne prendraient pas directement leur source dans les infractions à la législation sur les armes et qu’ils seraient étrangers à l’intérêt protégé par ces infractions,
    • il en serait de même des actes de terrorisme d’atteintes volontaires à la vie et à l'intégrité de la personne qui sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur et causent une atteinte directe à l’image de la ville qui en est le théâtre. La chambre de l’instruction ne pouvait donc pas considérer que la ville de Nice ne pourrait justifier avoir subi elle-même l’atteinte à l’intérêt protégé par les crimes d’atteinte à la vie.
 
La Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure, selon laquelle « il suffit pour admettre la recevabilité d’une constitution de partie civile incidente que les circonstances sur lesquelles elle s'appuie permettent à la juridiction d'instruction d'admettre comme possible l'existence du préjudice allégué ».
Pour autant, « les droits de la partie civile ne peuvent être exercés que par les personnes justifiant d'un préjudice résultant de l'ensemble des éléments constitutifs de l’une des infractions visées à la poursuite ».

En statuant comme elle l’a fait, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

Sanctionnant le caractère indirect des préjudices subis par la commune, la Chambre criminelle énonce que « ni le préjudice matériel invoqué par la commune sur le territoire de laquelle les faits constitutifs de ces infractions ont été commis, ni le préjudice allégué par cette dernière résultant de l’atteinte à son image consécutive auxdits faits ne découle de l’ensemble des éléments constitutifs des infractions (...) dont le juge d’instruction est saisi, seules infractions des chefs desquels l’information a été ouverte », « une telle entreprise terroriste n’étant susceptible d’avoir porté directement atteinte, au-delà des victimes personnes physiques, qu’aux intérêts de la Nation ».
Source : Actualités du droit