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Rémunération des co-administrateurs judiciaires : appréciation du « juste prix »

Affaires - Commercial
21/03/2022
Lorsque le total de la rémunération de l’administrateur judiciaire calculée en application du tarif prévu par le code de commerce excède 100 000 euros hors taxes, cette rémunération est alors arrêtée, par le magistrat délégué à cette fin, en considération des frais engagés et des diligences accomplies par l’administrateur : nombre d’heures effectuées, difficultés de la mission, négociations engagées, procédures judiciaires suivies, déplacements, etc. Le montant arrêté peut faire l’objet d’un recours.
Aux termes de l’article R. 663-13, alinéa 1, du code de commerce, "l'entière rémunération de l'administrateur judiciaire est arrêtée en considération des frais engagés et des diligences accomplies par lui et sans qu'il puisse être fait référence au tarif prévu par la présente sous-section [sous-section 1 : De la rémunération de l’administrateur judiciaire] lorsque le total de la rémunération calculée en application de ce tarif excède 100 000 euros hors taxes".
 
Et l’alinéa 2 de préciser que, dans ce cas, "la rémunération de l'administrateur, qui ne peut être inférieure à 100 000 euros hors taxes, est arrêtée par le magistrat de la cour d'appel délégué à cette fin par le premier président, sur proposition du juge-commissaire, au vu d'un état de frais et d'un état descriptif des diligences accomplies. Le magistrat délégué recueille au préalable l'avis du ministère public et demande celui du débiteur. Sa décision peut être frappée de recours devant le premier président de la cour d'appel par l'administrateur, le débiteur ou le ministère public".
 
Le présent arrêt est une illustration pratique des modalités d’appréciation de tous les éléments pris en compte pour fixer la rémunération des administrateurs judiciaires ayant accompli leurs diligences dans un contexte particulier.
 
Montant de rémunération demandé
 
En l’espèce, une SA X…, concevant et fabricant des composants de haute technicité à destination des constructeurs automobile (240 salariés / chiffre d’affaires annuel de 49 130 569 euros), avait été mise en redressement judiciaire le 1er décembre 2015, le tribunal de commerce ayant désigné Maître A… en qualité de mandataire judiciaire et Maître B… en qualité d'administrateur judiciaire avec une mission d'assistance. Par jugement du 1er mars 2016, le tribunal avait désigné Maître C… en qualité de co-administrateur judiciaire, celui-ci connaissant l'entreprise pour être déjà intervenu lors d'un précédent redressement judiciaire et bénéficiant de la confiance des salariés, lesquels menaçaient alors de bloquer la production.
 
La conversion de la procédure de redressement en liquidation judiciaire ayant été prononcée le 30 mai 2017 sur requête des administrateurs judiciaires, ces derniers avaient été maintenus dans leurs fonctions. Puis, par jugement du 22 août suivant, le maintien de l'activité avait été autorisé pour une durée de trois mois. Enfin, par jugement du 22 décembre, le tribunal de commerce avait arrêté le plan de cession des actifs de la société X… pour un montant de 92 605 euros au profit d’une société Y…, cette cession ayant permis la reprise de 165 salariés.
 
Les deux administrateurs judiciaires de la société X… avaient saisi le magistrat de la cour d'appel délégué par le premier président pour l’application des articles R. 663-13, R. 663-16 et R. 663-31 du code de commerce, relatifs à la fixation à la somme totale de 923 500 euros hors taxes "de la rémunération des administrateurs judiciaires, des commissaires à l'exécution du plan et des liquidateurs judiciaires d'une demande tendant à voir fixer leur entière rémunération pour la période qui a débuté à date du jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire et s'est terminée par le jugement arrêtant le plan de cession", ajoutant une demande de remboursement des frais engagés (respectivement 57 958,61 et 9 441,12 euros hors taxes). Ce montant avait été déterminé en fonction du temps passé par les deux intéressés, leurs différents collaborateurs et leurs assistantes selon les coûts horaires hors taxes afférents à chaque catégorie.
 
Le magistrat délégué n'a pas fait droit à cette demande de rémunération dans son intégralité, la somme étant arrêtée au montant 500 000 euros hors taxes par ordonnance du 16 mai 2019 : celle-ci mentionne, notamment, qu’il n'y a pas lieu de retenir le coût du temps passé par les assistantes déjà intégré à celui des administrateurs et que le montant demandé "n'apparaît pas cohérent avec une mission d'assistance et au regard du dossier dont la complexité si elle est réelle n'est pas exorbitante".
 
Les deux administrateurs judiciaires ont formé un recours à l'encontre de cette ordonnance.

Montant de rémunération arrêté

Le conseiller délégué par le premier président de la cour d’appel réforme l’ordonnance rendue le 16 mai 2019 : au vu des diligences accomplies par les deux administrateurs judiciaires et des difficultés particulières de leur mission, notamment du fait de l'activité industrielle de leur administrée et de l'enjeu de la poursuite de leur activité, il n'apparaît pas que la rémunération réclamée par ces derniers soit excessive ; la rémunération est arrêtée à la somme de 879 760 euros hors taxes et le montant des frais et débours relevé.
 
Sur la rémunération
 
Le premier juge n'a pas pris en compte – et ce, à juste titre – les heures effectuées par les assistantes des administrateurs judiciaires ou de certains de leurs collaborateurs, dont le coût est intégré dans leur taux horaire de ces derniers auxquels elle prête leur concours. Mais :
 
— en ce qui concerne le nombre des heures accomplies par les administrateurs et leurs différents collaborateurs, telles qu’elles apparaissent sur les fiches de temps individuelles versées aux débats, il ne résulte d'aucun élément qu'elles sont inexactes, approximatives ou majorées ;
 
— au vu du nombre de personnes intervenues dans le cadre de la procédure, le fait que le nombre d'heures cumulées excède celui d'un temps plein n'a rien d'étonnant ni d'incohérent (les différents collaborateurs n’étant pas affectés à temps plein à cette seule procédure collective) ;
 
— le maintien de la production de la société X… étant essentiel à sa reprise ou à la cession de ses actifs, le rôle joué par les deux administrateurs s’en est trouvé accru : négociations engagées avec les fournisseurs, en vue du maintien des relations contractuelles nécessaires à la poursuite de l'activité, et avec les sociétés d'affacturages pour récupérer les encours, ce qui a permis de reconstituer en partie la trésorerie ;
 
— les administrateurs ont participé à 57 réunions du comité d’entreprise et ont, par ailleurs, assuré le suivi de six procédures judiciaires en cours ;
 
— l’ensemble des contributions apportées a été déterminant pour une conclusion par voie de plan de cession.
 
Sur les frais et débours
 
S’agissant des déplacements, il apparait que :
 
— le premier juge a commis plusieurs erreurs, notamment en ne se prononçant pas sur les débours engagés par l’un des deux administrateurs pourtant réclamés dans la requête (À noter : dans sa rédaction applicable à l’espèce, l’article R. 663-13 du code de commerce prévoit que les provisions perçues restent acquises à l'administrateur judiciaire, en tant qu'acomptes sur la rémunération) ;
 
— si le prix du transport en avion est plus onéreux que celui par le train, il évite, en l’espèce, la facturation d'un temps de trajet qui aurait été beaucoup plus long, de sorte qu'il n'en ressort pas un surcoût par rapport au transport ferroviaire ;

— les factures litigieuses relatives à des nuitées d’hôtel portent en réalité sur des nuitées pour deux personnes et non une seule, ce dont il résulte que leur montant n’est pas excessif.
 
Il y a ainsi lieu d'arrêter les frais et débours aux montants demandés, soit 57 958,61 euros hors taxes pour Maître B… et 9 441,12 euros hors taxes pour Maître C…
 
Pour aller plus loin
Pour des compléments sur la rémunération des administrateurs judiciaires, se reporter au  2823 du Lamy droit commercial.
Source : Actualités du droit