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Fin de vie : la décision médicale collégiale l'emporte sur l'autorité parentale

Public - Santé
31/01/2018
La décision d’arrêt des traitements d’un enfant mineur dans un état végétatif a été jugée conforme aux exigences de la Convention.
Le 5 janvier dernier, le Conseil d’État a décidé l’arrêt des traitements pour une mineure placée dans un état désespéré. Il a ainsi validé l’arrêt des soins contre l’avis familial, écartant les arguments avancés par les père et mère qui n’ont pas perdu tout espoir de voir leur fille sortir du coma et qui refusent qu’on la laisse mourir. Le Conseil d’État fait droit à la position retenue collégialement par le corps médical pour une adolescente dont le cas est jugé désespéré et pour laquelle la décision est prise d’arrêter tout traitement conformément à la législation applicable dans le domaine de la fin de vie. L’avis médical, conforté par l’expertise réclamée par le tribunal administratif de Nancy, l’emporte sur l’opposition familiale car « il appartient au médecin compétent d’apprécier si et dans quel délai la décision d’arrêt de traitement doit être exécutée compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce » a déclaré le Conseil d’État.
Contestant cette décision les parents saisissent la Cour européenne des droits de l’homme le 9 janvier 2018. Ils invoquent les articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention. Ils estiment qu’ils devraient avoir un pouvoir de codécision dans la procédure collégiale, en tant que parents et titulaires de l’autorité parentale. De plus, ils invoquent également l’article 13 (droit à un recours effectif) considérant que le droit interne n’institue aucun recours effectif pour des parents qui s’opposent à la décision d’arrêt des traitements de leur enfant mineur. Ils invoquent enfin l’article 6 § 2 de la Convention d’Oviedo en ce qu’il prévoit que, lorsqu’un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant.
 
La Cour européenne des droits de l’homme déclare, à l’unanimité, la requête irrecevable.
Elle estime que le cadre législatif en vigueur est conforme à l’article 2 (droit à la vie) de la Convention et que, même si les requérants sont en désaccord avec l’aboutissement du processus décisionnel engagé par les médecins, celui-ci a respecté les exigences découlant de cet article. Elle considère également que le droit français a permis un recours juridictionnel qui est conforme aux exigences de l’article 2.
Dans la mesure où les griefs des requérants concernent l’arrêt des traitements qui maintiennent artificiellement la vie, la Cour examine l’ensemble des questions soulevées par la requête sous l’angle de l’article 2 de la Convention, selon les critères énoncés dans les affaires Lambert et autres c/ France (CEDH, 5 juin 2015, aff. 46043/14, RJPF 2015-9/5, obs. Depadt V.) et Gard et autres c/ Royaume-Uni (CEDH, 27 juin 2017, aff. 39793/17, RJPF 2017-9/31, obs. Cheynet de Beaupré A.).
En effet, la Cour rappelle avoir considéré dans l’affaire Lambert et autres, que le cadre législatif en vigueur, avant la loi n° 2016-87 du 2 février 2016, était suffisamment clair aux fins de l’article 2 de la Convention, pour encadrer de façon précise la décision du médecin d’arrêter les traitements lorsqu’ils résultent d’une volonté déraisonnable. La Cour constate que la nouvelle loi n’a pas substantiellement modifié le cadre législatif prévu par le Code de la santé publique. S’agissant de la situation particulière d’un patient mineur, l’article R. 4127-42 du Code de la santé publique prévoit que lorsqu’un médecin est appelé à donner des soins à un mineur, il doit non seulement consulter les parents mais aussi s’efforcer d’obtenir leur consentement. Dans la présente affaire, le Conseil d’État a précisé qu’il incombait au médecin « de rechercher l’accord des parents (...), d’agir dans le souci de la plus grande bienfaisance à l’égard de l’enfant et de faire de son intérêt supérieur une considération primordiale ».
La Cour conclut que la façon dont le droit interne, tel qu’interprété par le Conseil d’État, encadre les situations dans lesquelles les parents s’opposent à une décision d’arrêt des traitements concernant leur enfant mineur est conforme aux exigences de l’article 2 de la Convention.
 
Les requérants contestaient le processus décisionnel qui ne prévoit qu’une consultation des parents du patient mineur et ne leur octroie pas un pouvoir de codécision.
La Cour rappelle que si la procédure en droit français est appelée « collégiale », c’est au seul médecin en charge du patient que revient la décision. En l’espèce, la procédure collégiale a été menée conformément au cadre législatif et, en particulier les requérants, en tant que titulaires de l’autorité parentale, ont été consultés au cours d’au moins six entretiens formels entre le 7 et le 21 juillet 2017. Le Conseil d’État a relevé que, la volonté de la mineure ne pouvant être déterminée avec certitude, l’avis des parents devait revêtir une importance particulière et qu’ils avaient toujours été associés à la prise de décision.
En l’absence de consensus entre les États membres, la Cour a considéré que l’organisation du processus décisionnel, y compris la désignation de la personne qui prend la décision finale d’arrêt des traitements et les modalités de la prise de décision, s’inscrivaient dans la marge d’appréciation de l’État.
Les médecins et l’équipe soignante se sont efforcés de parvenir à un accord avec les requérants au cours de nombreux entretiens. La Cour constate que la volonté des parents de ne pas mettre fin aux traitements de leur fille a été effectivement respectée par les médecins. Avant même la procédure collégiale, le médecin en charge de l’adolescente leur a précisé que leur décision serait respectée. Lors d’un entretien postérieur à la décision d’arrêt des traitements, le docteur a encore indiqué aux requérants qu’une telle décision ne serait jamais appliquée sans leur accord. La Cour estime donc que, même si les requérants sont en désaccord avec son aboutissement, le processus décisionnel mis en œuvre a respecté les exigences découlant de l’article 2 de la Convention.
 
Enfin, s’agissant de l’article 6 § 2 de la Convention d’Oviedo, la Cour rappelle qu’elle n’est pas compétente pour examiner des griefs tirés d’autres instruments internationaux. 
Source : Actualités du droit