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Faire figurer la lutte contre les dérèglements climatiques au sein de la Constitution : « une évolution, pas une révolution » ?

Environnement & qualité - Environnement
12/03/2018
À l’occasion de la révision constitutionnelle en cours, le chef de l’État a exprimé l’éventualité d’inscrire l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique au sein même de la Constitution française. Se saisissant de l’opportunité, des juristes mais aussi des scientifiques, des philosophes, des politiciens, experts ou soucieux de la question climatique souhaitent prendre part au débat afin que cette initiative ne se soit pas que médiatique.
Réunis lors d’un colloque à l’Assemblée nationale le 8 mars dernier, intitulé « La Constitution face au changement climatique » et organisé par l’Université Paris 13, un panel d’acteurs concernés, parmi lesquels Delphine Batho, députée socialiste, membre de la Commission des affaires économiques, mais aussi les professeurs Marie-Anne Cohendet, Michel Prieur et Dominique Bourg ainsi que la présidente de l’association Notre affaire à tous, Marie Toussaint, s’est ainsi penché sur la question.
 
Le climat, oui mais où ?
 
  • L’article 1 ou l’article 34 de la Constitution
     
Plusieurs problématiques s’offraient à eux au-delà de la seule question de la pertinence d’inclure le climat dans la Constitution. À quel endroit insérer cette référence au climat ? Telle était notamment l’interrogation au cœur des débats. Si l’article 34 a pu être évoqué, cette éventualité n’a pas suscité l’adhésion et l’article 1er semble lui être préféré pour accueillir cet objectif aux enjeux planétaires.
En effet, l’article 34 qui se borne à définir les domaines d’intervention du législateur n’intime en rien à ce dernier d’agir. En outre, celui-ci en a d’ores et déjà la possibilité. Une telle ambition serait in fine insignifiante du fait de son impact très faible. En revanche, le faire figurer en ouverture de celle-ci, dès son article 1er, aurait une haute portée symbolique à côté de laquelle il conviendrait de ne pas passer.
 
  • La Charte de l’environnement
     
Mais qu’en est-il alors de la Charte de l’environnement de 2004 adossée à la Constitution et ayant, à ce titre, valeur constitutionnelle ? Pourquoi ne pas ajouter le climat au nombre des principes et engagements qu’elle contient ?
En effet, en l’état actuel, bien qu’il nous commande le « devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement » (art. 2) et qu’il assigne aux politiques publiques de « promouvoir un développement durable » (art. 6), ce texte ne mentionne pas explicitement la nécessité de prendre en compte les dérèglements climatiques, même si d’aucuns considèrent que la préservation de l’environnement l’induit intrinsèquement. Une telle insertion constitue donc un point majeur de la discussion.
Mais là encore les violons paraissent plutôt bien accordés pour arguer de concert que se risquer à modifier le texte de la Charte pourrait avoir des conséquences non souhaitées et non souhaitables. Les velléités de quelques détracteurs à l’égard du principe de précaution étant connues, nul besoin de les réveiller. Comme l’avance Marie Anne Cohendet, professeure en droit public, il s’agit de ne pas ouvrir « la boîte de pandore ».
Par ailleurs, il est important que la lutte contre le réchauffement climatique puisse être à armes égales face à la liberté d’entreprendre elle-même consacrée constitutionnellement et souvent invoquée dans les litiges où la préservation de l’environnement est menacée. Deux exemples législatifs récents illustrent bien ce blocage d’initiatives environnementales au nom des droits et libertés économiques garantis par la Constitution (L. n° 2017-1839, 30 déc. 2017, JO 31 déc., mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement : notons que le droit de suite prévu par le Code minier a également empêché certaines dispositions à caractère environnemental d’aboutir ; et L. n°  2017-348, 20 mars 2017, JO 21 mars, relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle).
 
L’avantage de la stabilité d’une norme constitutionnelle a également été évoqué au soutien de cette initiative.
Enfin, une telle norme revêtirait inéluctablement une certaine effectivité résidant dans l’obligation, qui en résulterait pour les législateurs autant que pour les juges, de l’appliquer. Des corrélations auraient ainsi déjà été constatées entre l’existence d’une norme à valeur constitutionnelle en faveur du climat et la réduction des émissions de gaz à effet de serre (voir l’Analyse mondiale 2015 de la législation sur le climat).
 
Le climat dans la Constitution, oui mais de quelle manière ?
 
Si l’intégration d’une norme constitutionnelle prenant en compte le climat ainsi que son emplacement au sein du corpus juridique ne semblent plus faire débat, il reste néanmoins à s’accorder sur la rédaction de cette norme et c’est bien là, en définitive, tout l’essentiel.
 
  • Le respect de la biodiversité
 
En introduction du colloque, le député LREM Matthieu Orphelin a formulé la proposition suivante « La République veille à la lutte contre le dérèglement climatique et au respect de la diversité biologique ».
 
« Veille », « changement climatique » ou « dérèglement », certains vocables ne font pas l’unanimité. De même, la question d’y faire figurer la protection de la biodiversité n’est pas tranchée.
 
  • Le principe de non-régression
 
Et quid de l’intégration du principe de non-régression consacré par la récente loi biodiversité ? L’éminent publiciste, spécialiste du droit de l’environnement, Michel Prieur a ainsi questionné l’auditoire : faut-il constitutionnaliser le climat, la non-régression ou les deux ?
 
  • Les limites planétaires
 
L’idée a également émergé de reconnaître « les limites planétaires » au sein de la Constitution. Englobant, dans une logique systémique, tout à la fois le climat et la biodiversité, cette option aurait pour mérite d’éviter l’écueil d’une focalisation sur le climat alors que les enjeux environnementaux doivent être appréhendés de manière interdépendante. Comme le dit Dominique Bourg, « se focaliser sur le climat n’est pas bon pour le climat », il convient donc de se méfier des possibles effets pervers.
 
  • L’Accord de Paris
 
Restaurer un lien de raison entre pouvoirs et nature ? Inclure les générations futures ? Intégrer l’Accord de Paris (là encore il semble que cette intégration ne soit pas plébiscitée) ? Autant de possibilités offertes par une telle perspective législative.
 
Reprenant toutes ces potentialités rédactionnelles, le professeur de science politique Bastien François, a néanmoins regretté en fermeture de ce colloque, qu’aucun travail de rédaction rigoureuse n’ait été entrepris en amont de ces échanges. Nouveau rendez-vous est donc pris pour se mettre à l’ouvrage. Le temps presse puisqu’un texte doit être présenté en Conseil des ministres à la mi-avril.
 
Alors que la lutte contre les dérèglements climatiques est portée par la France au niveau international à travers le Pacte mondial pour l’environnement, il est certain que celle-ci ne doit pas passer à côté de l’occasion d’envoyer un symbole fort tant à ses propres citoyens qu’au reste du monde : le symbole d’une nécessité d’agir obligeant à une prise de conscience car demain sera déjà trop tard…
Source : Actualités du droit