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Constitutionnalité de la pénalisation du recours à la prostitution

Pénal - Droit pénal spécial
05/02/2019
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel, en se fondant sur la ratio legis, déclare la conformité des dispositions du Code pénal permettant de poursuivre et de sanctionner les clients des personnes se livrant à la prostitution.
À l'appui de leur requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite du Premier ministre rejetant la demande d'abrogation des dispositions du décret du 12 décembre 2016 relatif au stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple ou sexistes et au stage de sensibilisation à la lutte contre l'achats d'actes sexuels (D. n° 2016-1709, 12 déc. 2016, JO 14 déc.), Médecins du Monde et plusieurs autres associations, ainsi que d’autres requérants, ont demandé au Conseil d'État de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative aux dispositions des articles 611-1, 225-12-1, 131-16, 9° bis et 225-20, 9° du Code pénal, issues de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées (L. n° 2016-444, 13 avr. 2016, JO 14 avr.).

Rappelons qu’aux termes de l’article 611-1 du Code pénal, le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir des relations de nature sexuelle d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe, c’est-à-dire 1 500 euros au plus (C. pén., art. 131-13). Plusieurs peines complémentaires contraventionnelles de droit commun sont également encourues (C. pén., 131-16 et C. pén., art. 131-17, al. 2), notamment l’obligation d'accomplir, le cas échéant à leurs frais, un stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels (C. pén., art. 131-16, 9° bis). Le montant de l’amende encourue est porté à 3 750 euros d’amende lorsque les faits contraventionnels sont commis en récidive (C. pén., art. 225-12-1, al. 1er).
Lorsque la personne se livrant à la prostitution est mineure ou si elle présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à un handicap ou à un état de grossesse, les faits sont de nature délictuelle et sont passibles de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende (C. pén., art. 225-12-1, al. 2), ainsi que plusieurs peines complémentaires, dont stage de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels (C. pén., art. 225-20, 9°).
 
Les requérants, rejoints par certaines parties intervenantes, reprochaient d’abord à ces dispositions de réprimer tout achat d’actes sexuels, y compris lorsque ces actes sont accomplis librement entre adultes consentants dans un espace privé. Cette interdiction générale et absolue porterait à la liberté des personnes prostituées et de leurs clients une atteinte non susceptible d’être justifiée par la sauvegarde de l’ordre public, la lutte contre le proxénétisme et le trafic des êtres humains ou la protection des personnes prostituées. Il en résulterait ainsi une méconnaissance du droit au respect de la vie privée, du droit à l’autonomie personnelle et à la liberté sexuelle en découlant, ainsi qu’une méconnaissance de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle. Il était enfin soutenu que la pénalisation de tout recours à la prostitution contreviendrait aux principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

Après avoir constaté l’absence d’examen constitutionnel antérieur de ces dispositions, le Conseil d’État estimait que le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit au respect à la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, à la liberté d'entreprendre garantie par son article 4 et au principe de nécessité et de proportionnalité des peines garanti par son article 8, soulève une question présentant un caractère sérieux et décidait donc de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel (CE, 12 nov. 2018, n° 423892).
 
Réduisant le champ de l’examen aux articles 611-1 et 225-12-1, alinéa 1er du Code pénal, le Conseil constitutionnel s’appuie d’abord sur les travaux préparatoires : « en faisant le choix par les dispositions contestées de pénaliser les acheteurs de services sexuels, le législateur a entendu, en privant le proxénétisme de sources de profits, lutter contre cette activité et contre la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle, activités criminelles fondées sur la contrainte et l’asservissement de l’être humain. Il a ainsi entendu assurer la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre ces formes d’asservissement et poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions ».

Le Conseil constitutionnel se retranche également derrière l’article 61-1 de la Constitution, en ce qu’il ne lui confère pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen. Poursuivant l’examen de la finalité de la norme, en interprétant la ratio legis, il énonce que « si le législateur a réprimé tout recours à la prostitution, y compris lorsque les actes sexuels se présentent comme accomplis librement entre adultes consentants dans un espace privé, il a considéré que, dans leur très grande majorité, les personnes qui se livrent à la prostitution sont victimes du proxénétisme et de la traite et que ces infractions sont rendues possibles par l’existence d’une demande de relations sexuelles tarifées ».

Or, en prohibant cette demande par l’incrimination contestée, le législateur a retenu un moyen qui n’est « pas manifestement inapproprié à l’objectif de politique publique poursuivi ». Dès lors, il convient de considérer que le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions et la sauvegarde de la dignité de la personne humaine et, d’autre part, la liberté personnelle. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté et les dispositions contestées déclarées conforme à la Constitution.
Source : Actualités du droit