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Loi « anti-casseurs » : les précisions de la place Beauvau

Pénal - Procédure pénale, Droit pénal spécial, Informations professionnelles
Public - Droit public général
16/04/2019
La circulaire de présentation de la loi visant à renforcer et garantir le maintien de l’ordre public lors des manifestations vient d’être rendue publique. Elle apporte d’intéressantes précisions notamment sur la fouille des bagages et visites des véhicules, sur le « nouveau » délit de dissimulation du visage et sur l’action récursoire de l’État.
Les dispositions de la loi du 10 avril 2019 (L. n° 2019-290, 10 avr. 2019, JO 11 avr.) « instituent, pour l’essentiel des outils de police judiciaire ». Plus largement, ce sont tous les aspects de l’appréhension institutionnelle des faits en cause qui sont touchés, qu’il s’agisse de la norme pénale de fond ou du traitement pénal des faits, juridictionnel ou non.
Complétant l’analyse des nouvelles dispositions légales (pour un décryptage, voir La loi « anticasseurs » se sera fait attendre !, Actualités du droit, 11 avr. 2019), la place Beauvau apporte des précisions sur quatre points.

 
  • Sur la fouille des bagages et la visite des véhicules

L’article 78-2-5 du Code de procédure pénale permet, sur réquisition du parquet, la fouille des bagages et la visite des véhicules, aux fins de recherche et de poursuite de l’infraction prévue à l’article 431-10 du Code pénal, c’est-à-dire en vue de prévenir la participation à une manifestation ou à une réunion publique en étant porteur d'une arme.
Les précisions de la circulaire sont principalement relatives à la finalité de la mesure en ce qui concerne les objets recherchés.
Actuellement, le dispositif, similaire, de l'article 78-2-2 du Code de procédure pénale permet seulement de rechercher les armes citées à l'article 222-54 du Code pénal (matériels de guerre, armes, éléments d'armes ou munitions relevant des catégories A ou B).
Or, comme le relève la circulaire, des objets ne relevant pas de cette définition sont régulièrement introduits au sein des manifestations pour servir d'arme, que l'on désigne alors comme des « armes par destination » (barres de fer, bâtons, boules de pétanque, bouteilles d'acide, engins explosifs, bouteilles d'acide notamment).
Le dispositif actuel ne permet donc pas de mettre en place un périmètre de protection analogue à ceux auxquels les représentants de l'État peuvent recourir pour les événements exposés à un risque d'actes de terrorisme (CSI, art. L. 226-1). La place Beauvau prend soin de préciser qu’ « il ne s'agit pas non plus d'un dispositif de filtrage à l'initiative du représentant de l'État, permettant de subordonner l'accès à certains lieux de la manifestation ».

Le nouveau dispositif permet donc d’intervenir, à titre préventif, en amont de l’éventuel usage d’armes par nature et d’armes par destination, au sens de l’article 132-75 du Code pénal. La circulaire rappelle dans ce cadre la position de la jurisprudence, selon laquelle il n'est pas nécessaire que l'objet ait servi pour pouvoir le considérer comme une arme par destination. « En présence d'un objet susceptible d'être une arme, les forces de l'ordre compétentes apprécieront au regard d'éléments de contexte l'intention de l'individu d'utiliser l'objet dans le but de tuer, blesser ou menacer ».
 
 
  • Sur le délit de dissimulation du visage

L’article 431-9-1 du Code pénal définit et sanctionne le fait, pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime, au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis ou risquent d’être commis, est passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

Or, comme nous le soulignions il y a quelques jours (voir ici), la dissimulation du visage dans l’espace public est déjà sanctionnée :
  • en tant que contravention de la 2e classe (L. n° 2010-1192, 11 oct. 2010, JO 12 oct.) ;
  • au sein ou aux abords d'une manifestation sur la voie publique, depuis 2009, en tant que contravention de la 5e classe (C. pén., art. R. 645-14) ;
  • en tant que circonstance aggravante d’autres infractions (art. 3, L. n° 2010-201, 2 mars 2010, JO 3 mars).
 
Le ministère de l’Intérieur confirme la coexistence des incriminations et, partant, du concours d’infractions en la matière. Un tableau comparatif des infractions est mis à disposition à la fin de l’annexe 2 de la circulaire.
Il concède la proximité, voire l’identité, des éléments constitutifs :
  • un même comportement répréhensible : la dissimulation totale ou partielle du visage. La place Beauvau indique à ce sujet que « l'infraction sera constituée quelle que soit l'ampleur de la dissimulation (totale ou partielle), dès lors qu'elle aura pour effet d'empêcher l'identification de la personne, en lien avec l'élément intentionnel de l'infraction » ;
  • un champ géographique identique à celui de la contravention : au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation. La circulaire fait néanmoins état de ce que la notion d' « abords immédiats » n'est pas légalement définie. Il reviendra donc, en premier lieu, aux officiers de police judiciaire, puis aux magistrats d'apprécier in concreto ce que recouvre ce champ géographique « au regard notamment de l'existence de troubles à l'ordre public ». Il est rappelé que s'agissant de manifestations sportives, il a pu être jugé que les abords peuvent s'étendre à l'accès autoroutier menant à l'enceinte sportive dès lors que les personnes interpellées s'y trouvaient dans le but de se rendre à la manifestation en cause.
Mais il confirme rapidement une différence de degré en ce qui concerne la circonstance des troubles à l’ordre public. Rappelons que le délit vise « une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l'issue de laquelle des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis ». Or, pour le Conseil constitutionnel, sont ici visées les situations dans lesquelles les risques de troubles sont « manifestes » (Cons. const., 4 avr. 2019, n° 2019-780 DC, JO 11 avr., § 30). La probabilité que les troubles se produisent est donc plus élevée qu'en cas de simples « circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public » comme tel est le cas pour la contravention. La place Beauvau précise aussi que ce caractère manifeste du risque de troubles sera apprécié au regard « d’éléments de circonstances objectifs ».

En outre, les troubles à l'ordre public visés sont ceux commis au cours de la manifestation ou à l'issue de celle-ci et, comme l’a indiqué le Conseil constitutionnel (déc. précitée, § 30), que la période pendant laquelle l'existence de troubles ou d'un risque de troubles doit être appréciée commence dès le rassemblement des participants à la manifestation et se termine lorsqu'ils se sont tous dispersés.
 
La circulaire précise également l’élément intentionnel du délit et la cause d’exonération de responsabilité corrélative. Contrairement à la contravention, laquelle ne réprime la dissimulation du visage que si elle procède d'une intention de ne pas être identifié, le délit nouvellement créé ne prévoit pas de dol spécial.
Cependant, s'agissant d'un délit, l'article 121-3 du Code pénal trouve à s'appliquer. Or, ainsi que l'a précisé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 avril 2019 (déc. précitée, § 29), la dissimulation du visage doit nécessairement s'entendre comme la « circonstance dans laquelle une personne entend empêcher son identification par l'occultation de certaines parties de son visage ». La différence de rédaction n'implique donc pas de différence de caractérisation avec la contravention.

L’existence d’un motif légitime justifiant la dissimulation du visage est prévue, sans que le texte ne définisse la notion. Ses contours seront donc « définis par l'autorité judiciaire et, en premier lieu, par les forces de l'ordre, au regard des circonstances ». Le motif légitime s'appréciera « nécessairement par rapport aux troubles en cours ou imminents, auxquels l'intéressé devra démontrer qu'il n'avait aucunement l'intention de participer ou contribuer ».
 
 
  • Sur le jugement en comparution immédiate
 
La loi du 10 avril 2019 procède à une extension des procédures rapides (CPPV, comparution immédiate et CRPC), auxquelles il peut être désormais recouru pour tous les délits commis à l’occasion d’un attroupement (C. pén., art. 431-3 et s.).
Or, par principe, ces procédures ne sont « normalement » pas applicables aux délits politiques (C. pr. pén., art. 397-6 et 495-16). Et il s’avère que, selon la jurisprudence, le délit d'attroupement sont des infractions politiques (Cass. crim., 28 mars 2017, n° 15-84.940, Bull. crim., n° 82).
C’est donc aux fins « de renforcer l'efficacité des poursuites en cas d'attroupements et de pallier ainsi les difficultés opérationnelles constatées lors des manifestations », qu’est créé l’article 431-8-1 du Code pénal. Ce texte permet de recourir aux procédures rapides « sans pour autant remettre en cause le caractère politique de ces délits ».
 
 
  • Sur l’interdiction de manifester
 
Si l’interdiction de manifester ordonnée par le préfet a été censurée par le Conseil constitutionnel (déc. précitée, § 26), elle peut en revanche désormais être décidée dans le cadre du contrôle judiciaire et à titre de peine complémentaire.
La circulaire n’apporte pas véritablement, à ces égards, d’informations nouvelles. Deux rappels méritent néanmoins d’être signalés, à toutes fins utiles :
  • « l'interdiction est limitée à l'activité de manifester et n'empêche pas l'intéressé de se rendre dans ce lieu à d'autres fins » ;
  • « le juge d’instruction peut à tout moment moduler le périmètre des obligations prononcées dans le cadre du contrôle judiciaire ».
On observera une formulation sinon ambigüe, du moins peut-être assez maladroite, selon laquelle « le contrôle judiciaire est l'ensemble des obligations auxquelles une personne peut être soumise dans l'attente de son procès. Elles peuvent être décidées, soit par le procureur suite à une enquête préliminaire, soit par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention au cours d'une information ».
Il est exact qu’en cas de convocation par procès-verbal, de comparution immédiate et de comparution différée, le procureur de la République peut estimer nécessaire de soumettre le prévenu à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire ou de le placer sous assignation à résidence avec surveillance électronique jusqu'à sa comparution devant le tribunal. Mais le prévenu est le traduit sur-le-champ devant le juge des libertés et de la détention, qui a, lui, le pouvoir de décider de la mesure restrictive de liberté (C. pr. pén., art. 394). La modification de l’article 138 du Code de procédure pénale résultant de la loi du 10 mars 2019 concerne le contrôle judiciaire décidé seulement par un magistrat du siège.
 
 
  • Sur l’action récursoire de l’État

La circulaire aborde enfin la modification de l’article L. 211-10 du Code de la sécurité intérieure, qui permet à l'autorité administrative compétente de mener une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable lors d'attroupements ou rassemblements armés ou non armés, lorsque l'État a été reconnu civilement responsable des dégâts et dommages commis contre les personnes ou les biens.
Il est précisé que cette action, exercée au nom de l'État, par le préfet de département, « doit être menée » lorsque la responsabilité civile de l'État a été engagée et qu'une indemnisation est intervenue dans un cadre transactionnel ou en exécution d'une décision de justice.
Les préfectures sont donc invitées à veiller, « dès que la responsabilité de l'État est mise en cause, à rassembler tout élément de preuve (rapport de police, articles de presse, photos, vidéos captées sur internet...) établissant de manière circonstanciée les conditions dans lesquelles ces crimes ou ces délits ont été commis ». Ces éléments « doivent permettre, dans toute la mesure du possible », d'identifier l'auteur du crime ou du délit ayant conduit à la mise en cause de la responsabilité de l'État.
L’action doit être exercée sur la totalité du montant du dommage imputable à l'auteur. Mais il n'est pas nécessaire que l'auteur du fait dommageable ait été condamné afin que celle-ci puisse être menée.
Un suivi des condamnations pénales résultant de ces crimes ou délits « doit être mis en place » afin que l'action récursoire de l'État puisse être ultérieurement menée. Les recettes recouvrées pourront donner lieu à rétablissement de crédits.
Source : Actualités du droit