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Transport de denrées surgelées : non-respect de la chaîne du froid

Environnement & qualité - Qualité
09/07/2019
Une société de transport est condamnée pour ne pas avoir respecté la chaîne du froid durant le transport de steaks hachés surgelés.
Une société commissionnaire de transport a été chargée par une société du secteur alimentaire du transport de 31 palettes de steaks hachés surgelés, pour un poids total d'environ 21 tonnes, au départ d’un entrepôt situé dans le Loiret jusqu’à l’établissement de son client situé dans les Bouches du Rhône.

La société commissionnaire de transport a confié l'exécution matérielle du transport à une société luxembourgeoise spécialisée dans le transport frigorifique. Cette société a sous-traité le transport à une première société espagnole de transport qui elle-même l'a sous-traité à une deuxième société espagnole de transport. Nous avions ainsi une cascade de sous-traitance comprenant pas moins de 4 intervenants pour effectuer un seul transport.

La deuxième société espagnole de transport a pris en charge la marchandise le 24 juin 2011, selon une lettre de voiture CMR. Le 27 juin 2011, la société destinataire a refusé la marchandise au déchargement en raison de températures non conformes. Une expertise contradictoire a été réalisée par un cabinet spécialisé qui a confirmé la rupture de la chaîne de froid. La marchandise étant décongelée et ne pouvant plus être recongelée a dû être détruite.

La société destinataire a été indemnisée par son fournisseur, lequel a été remboursée par ses assureurs, pour un montant total de 78 670,55 € le 15 mai 2012.

Le 22 juin 2012, les compagnies d'assurance et la première société commissionnaire de transport ont assigné la société luxembourgeoise de transport et son assureur, devant le tribunal de commerce d'Aix en Provence, aux fins de les voir condamner au versement de divers montants liés au préjudice. Le 12 juillet 2012, l’assureur de la société luxembourgeoise de transport a appelé en garantie les deux sociétés espagnoles de transport. La deuxième société espagnole qui avait effectué effectivement le transport a appelé en cause et en garantie son assureur.

Par jugement du 17 novembre 2014, le tribunal de commerce d'Aix en Provence s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce d'Évry. Par jugement du 6 avril 2016, le tribunal de commerce d'Évry a, notamment, dit que la société luxembourgeoise était responsable du sinistre et de ses conséquences. Il l’a donc condamnée avec son assureur à payer aux autres sociétés d'assurances la somme de 78 670,55 € augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

Un appel de ce jugement a été effectué par la société luxembourgeoise de transport et son assureur devant la Cour d'appel de Paris.

Tout d’abord la Cour d’appel devait examiner la responsabilité de la société luxembourgeoise de transport. Pour les juges, il est bien établi que cette société s’est vue confier, par la société commissionnaire de transport, l'exécution du transport. La société luxembourgeoise de transport l'a alors sous-traité à un transporteur espagnol qui l'a, à son tour, sous-traité à un deuxième transporteur espagnol qui l'a effectivement exécuté. L'acheminement ayant été exécuté par un seul transporteur, ses prédécesseurs dans la chaîne de transport sont donc intervenus en qualité de commissionnaires. Dès lors qu'il n'est reproché à la société luxembourgeoise aucune faute personnelle dans l'exécution de sa mission, sa responsabilité n'est recherchée qu'en sa qualité de garante de ses sous-traitants.
La marchandise a été décongelée durant le transport par suite de la rupture de la chaîne du froid et a dû être détruite. Les voituriers ont donc manqué à leur obligation de livraison conforme. La défaillance du transporteur espagnol est, dans ces conditions, établie. Les sociétés d’assurance et la société commissionnaire de transport sont donc fondées à obtenir la condamnation du sous-commissionnaire luxembourgeois et de son assureur à les indemniser de leur préjudice.

Le transporteur espagnol a établi une lettre de voiture CMR. Il s'en déduit que les parties ont entendu soumettre le transport litigieux aux règles de la CMR.
La société luxembourgeoise de transport s'est vue confier, par le commissionnaire de transport, la mission de faire transporter la marchandise à la température de - 22ºC. Il résulte des rapports d'expertise du cabinet spécialisé, que :
- la société luxembourgeoise a émis à destination de la première société de transport espagnole une confirmation d'affrètement prescrivant une température de - 22 ºC en continu pendant tout le temps de trajet ainsi que la présence d'un enregistreur de température avec imprimante ;
- la lettre de voiture établie le 24 juin 2011 par la deuxième société de transport espagnole prescrit une température de - 20 ºC ;
- la feuille de chargement dans la semi-remorque frigorifique de cette deuxième société de transport espagnol en date du 24 juin 2011 fait état d'une température contrôlée de - 20,3 ºC ;
- à la livraison, les températures étaient comprises entre - 12 ºC et - 11,5 ºC.

L'origine du sinistre réside dans une défaillance du système d'alimentation en froid du véhicule de la deuxième société de transport espagnole, substituée à la première. De plus le camion utilisé ne disposait pas d'équipement d'enregistrement de température spécifique.

Le transporteur espagnol n'a donc ni respecté la température de - 22 ºC prescrite par les instructions d'affrètement, ni, en tout état de cause, celle de - 20 ºC prévue par sa propre lettre de voiture, ni mis en œuvre le dispositif d'enregistrement de température prescrit.

Une telle situation était contraire aux ordres d'affrètement ainsi qu'aux prescriptions du règlement CE nº 37/2005 du 12 janvier 2005 (relatif au contrôle de la température dans les moyens de transport et les locaux d'entreposage et de stockage des aliments surgelés, voir Le Lamy Dehove, n° 220-110 et suivants) et de l'article 25.b de l'arrêté du 20 juillet 1998 relatif aux conditions techniques du transport de denrées alimentaires sous température dirigée, applicable à la date des faits. Ce dernier est devenu l'article R. 231-13 (5º) du Code rural et de la pêche maritime. Il dispose que la partie des moyens de transport destinée à recevoir les aliments suivants est équipée d'instruments approuvés d'enregistrement automatique de la température pour mesurer fréquemment et à intervalles réguliers la température de l'air :
a) les aliments surgelés destinés à l'alimentation humaine ;
b) les viandes hachées et préparations de viandes à l'état réfrigéré ou congelé, y compris les surgelés, pour tout transport d'une durée supérieure à une heure.
La société de transport espagnole, spécialisée dans le transport frigorifique, n'ignorait ni la nature du chargement, ni les normes de température et les équipements prescrits. Elle a pris, en toute connaissance de cause, le risque sérieux d'une rupture de la chaîne du froid, l'acceptant ainsi de façon téméraire et sans raison valable. Ce transporteur, agissant en contradiction flagrante avec les instructions reçues et la réglementation applicable, a commis une faute délibérée impliquant la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation sans raison valable. La faute inexcusable est dès lors caractérisée.

Pour la Cour d’appel de Paris, le jugement de première instance est, en conséquence, confirmé. La société luxembourgeoise commissionnaire de transport et son assureur doivent donc payer aux autres sociétés d'assurances la somme de 78 670,55 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation.

De cet intéressant arrêt peuvent être déduites plusieurs observations en lien avec les dispositions de maîtrise de la qualité.
Tout d'abord lors du contrôle au chargement, d'après les éléments disponibles, une vérification de la présence dans le camion de l'enregistreur de température n'a pas été effectuée. Le bon fonctionnement du groupe froid n'a pas non plus semble t'il été vérifié. Si ces deux vérifications avaient été effectuées, il aurait été aisé de constater que deux exigences de la confirmation d'affrètement n'étaient pas satisfaites. Le chargement de la marchandise dans un camion non conforme aurait pu être ainsi évité.
Ensuite, lors de la commande de fret, le commissionnaire de transport aurait pu, pour le moins, insérer une clause n'autorisant pas la sous-traitance en cascade.
De plus, ledit commissionnaire de transport aurait pu également limiter le choix de ces sous traitants aux seules entreprises de transport dont il avait dûment évalué la qualité des prestations.
Au final, les assureurs, faute d'avoir vérifié, d'une manière ou d'une autre, l'existence et la mise en œuvre de dispositions de maîtrise de la qualité suffisantes chez leurs assurés, sont contraints de rembourser le montant total du préjudice.

Un article issu de la Revue Lamy Droit Alimentaire n° 394, juillet 2019.
Source : Actualités du droit